Contexte
Avant la crise sanitaire
Avant de vous dévoiler les nouvelles pratiques de recrutement en hôtellerie restauration, il nous faut resituer le contexte. Bien avant la crise sanitaire, les secteurs de l’hôtellerie restauration peinaient déjà à recruter et souffraient parallèlement d’un turn-over élevé.
Alain JACOB, Président d’AJ Conseil (expert en recrutement et placement de personnel encadrant en hôtellerie restauration et retail) témoigne : « Je suis sorti de l’école hôtelière en 1965 et ces problématiques de recrutement (manque de personnel formé, difficultés à recruter) existaient déjà. Cela s’est aggravé au fur et à mesure des années. On a notamment connu un phénomène d’aspiration des candidats dans les années 1990/2000 vers l’Asie et les Emirats (du fait de leur essor touristique et de leur intérêt pour les Grands chefs français) avec des niveaux de salaires et d’avantages en nature qui ont rendu les retours en France difficiles. Nous avons toutefois connu une embellie avec la mise en lumière de différents concours de cuisine tels Top chef, le meilleur pâtissier. Mais la crise sanitaire a replongé les filières hôtellerie restauration dans ses difficultés de recrutement ».
Les derniers chiffres officiels d’avant Covid étaient déjà édifiants puisqu’en 2019, l’enquête BMO (Besoin en Main d’Œuvre) de Pôle Emploi recensait pas moins de 314 000 projets de recrutement dans l’hébergement et la restauration.
Les chiffres de la crise sanitaire
La crise de la Covid 19, évidemment !
Selon le ministère du Travail, 450 000 personnes ont quitté le monde de l’hôtellerie restauration entre février 2020 et février 2021, alors que seulement 213 000 l’ont intégré …
Quid de 2022 ?
Bien que, selon la ministre Olivia Grégoire en charge des petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, les salaires ont été revalorisés de 16% en 2022, 250 000 emplois n’ont pas été pourvus dans ces secteurs en 2022.
En réalité, les augmentations salariales constatées sont moindres. Jusqu’alors, les grilles salariales minimum étaient sous le SMIC et les employeurs étaient tenus de compenser pour respecter la loi. Aussi, ces augmentations ne semblent pas suffire, à elles seules, à résoudre les difficultés de recrutement.
D’ailleurs, Alain JACOB constate que « des restaurateurs ont réorganisé leur travail et les services. La coupure est parfois supprimée et des journées continues mises en place, quitte à fermer un jour de plus ».
Dans ce contexte compliqué s’est ajouté le phénomène de « grande démission » constaté en France. Ce phénomène est volontiers associé au manque de sens dans son travail, mais aussi aux conditions de travail. Il est vrai que les variations d’horaires de travail et la présence le weekend ne sont pas les points forts de la profession. La filière hôtellerie restauration aura en revanche pour elle un ascenseur social qui fonctionne.
On note d’ailleurs que fin 2021 et début 2022, le nombre total de démissions en France a atteint un niveau historiquement haut, avec près de 520 000 démissions par trimestre, dont 470 000 démissions de CDI.
Les nouvelles pratiques de recrutement en hôtellerie restauration : Brigad
Qu’est ce que c’est ?
Dans ce contexte délicat, de nouvelles pratiques de recrutement en hôtellerie restauration émergent et/ou se structurent. Nous avons rencontré Brigad, qui vient de lever 33 millions d’euros (auprès de Balderton capital).
Brigad met en relation, depuis 2017, les hôteliers restaurateurs et les professionnels du secteur, à leur compte, pour des missions ponctuelles, de courtes durées.
Plus de 8 000 points de vente en France sont déjà utilisateurs de la solution (qui est aussi présente au Royaume-Uni).
Cette application est gratuite pour les hôteliers restaurateurs. Il leur suffit de poster ses missions. Ce sont des « utilisateurs ». Une fois la mission postée sur l’application Brigad, un devis s’affiche automatiquement. Il n’y a aucun frais de gestion.
Exemple : « j’ai besoin d’un chef 4 jours. Mon prix plancher est de XX euros. Si le besoin est pour demain matin 8h, on peut adapter le plafond pour être attractif ».
90 et 95% de mission sui trouvent un brigadeur. la moitié en moins de 30 minutes.
Qui peut devenir Brigadeur ?
La plateforme propose ces missions à plus de 12 000 « brigadeurs » triés sur le volet. En effet, seuls 2 à 8% sont acceptés sur 300 000 demandes pour devenir brigadeurs (en 3 ans) .
Plusieurs milliers de personnes postulent chaque mois pour devenir brigadeur. On vérifie deux choses : partie administratives légales et vérification métier. Des entretiens ont lieu et les premières missions vont être scrutées. Bien que confidentielles et non diffusées, toute les missions sont notées. Cela permet de préconiser aux brigadeurs des formations pour monter en compétences.
Côté Brigad, une relation contractuelle les lie aux « brigadeurs » (qui ont un SIRET). Ces brigadeurs factureront directement l’hôtelier restaurateurs et Brigad facture des frais de service aux brigadeurs. Ces frais correspondent à la mise en relation, mais aussi à la mise en place d’avantages (partenariat caution logement, contrats négociés, des micro crédits pour racheter des couteaux par ex, des assurance complémentaires négociées qu’ils peuvent souscrire s’ils le souhaitent.
D’un point de vue technique, AXA assure chacune des missions en assurance civile.
Selon s’il s’agit d’une mission pour de la restauration collective, rapide ou HCR, la durée moyenne varie mais le plus souvent les missions proposées sont de courte durée. La durée minimum de mission qu’il est possible de proposer est de deux heures (là où la plupart des solutions du marché existantes commencent à 6h). Il n’y a pas de limite de durée.
D’autres acteurs et d’autres approches pour de nouvelles pratiques de recrutement en hôtellerie restauration
Rencontré au salon Food Hotel Tech, Brigad propose donc un concept qui consiste à mettre en relation offre et demande. Ce concept n’est pas unique. D’autres acteurs tel Staffme, sans doute plus généraliste, existent. Notre équipe a également rencontré Tanguy Vasseur, fondateur de Cookorico, sur le SIRAH à Lyon. Ancien du secteur, Tanguy Vasseur a vendu son établissement en 2014 et créé Cookorico en 2016. Sa plateforme dédiée aux métiers de l’hôtellerie restauration met elle aussi en relation offres d’emploi et candidats. A l’inverse de Brigad, cette solution est gratuite pour les candidats mais payante pour les recruteurs.
Les nouvelles pratiques de recrutement en hôtellerie restauration : la POEC innovante
Qu’est ce qu’une POEC ?
La POEC est une formation collective pour les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi, achetée par les Opérateurs de Compétences (OPCO) avec des budgets du Plan d’investissement dans les Compétences (PIC).
Elle vise à former plusieurs demandeurs d’emploi aux compétences attendues par des entreprises identifiées par une ou plusieurs branches professionnelles sur un territoire donné. Elle comprend une période en entreprise.
La durée d’une POEC est de 400 heures maximum.
Les entreprises bénéficiaires de la POEC peuvent proposer des contrats en CDD et CDI.
Le stagiaire, quand à lui, percevra un salaire pendant sa formation, qui elle-même se verra prise en charge en intégralité.
Stelo formation a régulièrement à recours à ce dispositif pour accompagner différents besoins. Ainsi, en 2022, des groupes d’agents de restauration ont été formés aussi bien pour une chaîne de crêperies que pour un géant suédois de l’ameublement.
Et la POEC Innovante ?
La Préparation Opérationnelle à l’Emploi Collective innovante bénéficie d’un renforcement de l’accompagnement socio-professionnel : personnalisation du parcours, possibilité de préparer le permis de conduire, inclusion d’heures pour l’apprentissage du français langue étrangère (FLE) appliqué à l’hôtellerie restauration. Ce dispositif permet donc l’intégration de personnel réfugié et demandeur d’emploi
Les 2 POEC font l’objet d’une action de formation de 400 heures au maximum comprenant des modules de découverte du métier, de découverte du secteur, de postures professionnelles et d’un stage en entreprise de 70 heures.
Refugee food festival, Tremplin du coeur ..
Les écoles d’hôtellerie restauration et les concours
Les nouvelles pratiques de recrutement en hôtellerie restauration : Témoignage de Francis Barbier – Directeur du CFA de Villepinte
Pour le directeur de l’apprentissage du CFA de Villepinte, Stelo formation, on observe depuis la crise sanitaire un frein sur les suites de parcours de formation.
Ainsi, Francis Barbier témoigne :« Il y a encore quelques années, certains étudiants qui entraient en CAP cuisine poursuivaient leurs études après le BTS MHR avec des spécialisations telles les Mentions Complémentaires (cuisinier en dessert de restaurant, cuisine allégée…). Aujourd’hui, la tension sur les métiers de l’hôtellerie restauration est telle qu’elle impacte les parcours classiques de formation. Les entreprises vont avoir tendance à recruter des apprentis moins formés. Elles proposent des salaires et des conditions de travail suffisamment attrayants pour sortir un étudiant de son parcours de formation. Celui-ci commencera à travailler dès le BAC, ou le Brevet Professionnel, plutôt que de poursuivre sur un BTS et/ou une spécialisation ».
Les nouvelles pratiques de recrutement en hôtellerie restauration : Témoignage de Mélissa PRIVAT – Participante au concours Expo hôtel
Mélissa PRIVAT, après son Brevet Professionnel Arts de la tables et commercialisation et service, a quant à elle participé au concours Expo hôtel à Bordeaux. Elle y a obtenu une belle quatrième place au concours Arts de la table …
« Participer à ce concours m’a permis de me confronter à moi-même, aux autres participants. C’est une mise en lumière le temps d’un évènement. J’ai directement été contactée par plusieurs entreprises sur le salon pour intégrer leur restaurant et hôtel, ainsi que par des membres du jury. Le moment de la remise des prix m’a notamment marqué car cela a généré un attroupement autour de nous. On m’a beaucoup interrogé sur l’entreprise dans laquelle j’étais … ».
Les nouvelles pratiques de recrutement en hôtellerie restauration : le MOOC de recrutement
Avec l’appui de la région Sud et Pôle Emploi, Tourism Academy a développé un MOOC qui mène directement les demandeurs d’emploi aux recruteurs.
Marie RICHARD, co-fondatrice et DG de Tourism Academy nous explique. « Nous avons développé un premier MOOC de recrutement en 2018 sur Roissy en écoutant nos remontées clients. On nous expliquait que nos formations en ligne étaient chouettes mais que le problème résidait ailleurs : le recrutement. Aussi, nous avons réfléchi à une méthode pour créer une passerelle entre des demandeurs d’emploi, souvent expérimentés en retail, et le monde aéroportuaire, dans le cas présent. Cela a bien fonctionné : nous avons dupliqué sur Orly puis l’IDF.
Nous avons ensuite déployé la même logique sur d’autres régions comme le Grand Est (650 personnes formés) pendant le Covid, et le PACA (750 formés pour les saisons été et hiver). Nous travaillons actuellement au recrutement des saisonniers 2023 pour la Région Sud.
On fonctionne en 3 phases :
- Sourcing, avec la Région, les partenaires locaux de l’emploi et notre propre action,
- Formation sur des sujets tels l’excellence de service, le parcours client, la gestion des conflits, les clientèles internationales, l’accueil des personnes en situation de handicap, l’écoresponsabilité, mais aussi les techniques de recherche d’emploi)
- Accompagnement vers l’emploi.
Les candidats qui valident leur formation avec succès sont ensuite mis en relation avec les employeurs en fonction de leur profil, lors de job dating puis par transmission directe de leur dossier de candidature aux entreprises et aux conseillers de Pôle emploi ».
Conclusion : ça bouge en hôtellerie restauration !
Si les conditions de travail en hôtellerie restauration semblent être le nerf de la guerre pour séduire et recruter durablement, elles évoluent sensiblement mais positivement. En plus d’augmentations de salaires, des aménagements des services et horaires sont également de plus en plus courants.
L’argument de l’ascenseur social, qui lui fonctionne toujours dans cette filière, reste bien réel et nombreux sont les cas constatés d’évolutions rapides dès lors que le candidat est motivé.
Ainsi, dans un contexte économique toujours délicat pour les professionnels du secteur, les façons de recruter en hôtellerie restauration évoluent aussi. De nouveaux acteurs, de nouvelles méthodes et de nouvelles modalités de financement apparaissent pour rendre moins difficile le quotidien des hôteliers restaurateurs.